Les Franciscains au cœur de la protection des droits humains : Frère Auguste Agounpké OFMCap

Chez certaines ethnies du nord du Bénin, les caractéristiques d’un enfant lors de sa naissance ainsi que dans les mois qui suivent sont déterminantes à sa survie. De sa position lors de l’accouchement à la manière dont il fait sa dentition, il peut être accusé d’être un enfant « sorcier ». Selon les croyances traditionnelles, il devient alors une malédiction pour sa famille ainsi que pour toute la communauté, et doit être éliminé.

Nous avons rencontré le Frère Auguste Agounpké, qui est engagé depuis plus de 20 ans dans la lutte contre l’infanticide rituel. Bien que de nombreuses avancées aient été réalisées depuis, dont la criminalisation de cette pratique par le Bénin en 2015, celle-ci n’a pas encore totalement disparu. En effet, si l’abandon est maintenant plus souvent choisi à la place de la mise à mort, les enfants accusés de sorcellerie souffrent toujours d’être stigmatisés et exclus. Nous avons pu discuter des actions de sensibilisation sur le terrain auquel Frère Auguste a pris part, ainsi que de son engagement dans le plaidoyer international.


Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre travail sur l’infanticide rituel au Bénin ?

Je m’appelle Auguste, je suis un frère Capucin et je travaille pour le compte de Franciscains-Bénin. La première fois que j’ai entendu parler des enfants dit sorciers, c’est lorsque l’on m’a envoyé en mission au nord du pays en 2003. Pour moi, c’était étrange, car c’est quelque chose qui n’existe pas au sud. Un jour, un catéchiste de la paroisse est venu alerter le curé qu’un enfant de huit mois allait être exécuté parce que sa première dent était apparue sur sa mâchoire supérieure. Nous avons tout de suite pris la voiture afin de nous rendre dans ledit village. Les parents étaient là mais n’avaient pas le droit à la parole : c’était au grand-père de décider du sort de l’enfant. Celui-ci a accepté que nous emportions son petit-fils avec nous, tout en confirmant qu’il le tuerait s’il le revoyait. Puis nous avons eu un deuxième cas, une fillette, qui elle aussi a commencé à faire ses dents sur la mâchoire supérieure. Sa mère, qui l’a tout de suite vu, est partie quelques temps chez ses parents afin que personne d’autre ne le remarque. Mais des années plus tard, elle a fini par l’avouer à son mari. Leur fille avait déjà 9 ans, mais le père a quand même voulu l’éliminer, donc nous avons dû aller la chercher. Nous avons sauvé une dizaine d’enfants de cette manière.

Quelles sont les différentes raisons pour lesquelles un enfant peut être qualifié de « sorcier » ?

En plus de la pousse des dents, qui doit impérativement commencer par la mâchoire inférieure, la position de l’enfant à l’accouchement est également très importante. En effet, le nouveau-né doit tomber sur le dos en regardant le ciel : s’il sort par les pieds, l’épaule ou le siège, il devra être sacrifié. Comme la plupart des femmes donnent naissance à la maison, c’est souvent une accoucheuse du village qui s’en occupe. Mais certaines d’entre elles profitent d’être les seules admises dans la pièce – et donc de pouvoir témoigner de la position de l’enfant à la naissance – afin de régler leurs comptes. Il arrive donc qu’elles mentent afin de nuire à la femme qui accouche, si elles ont eu un différend avec cette dernière par exemple. Enfin, le chiffre 8 est de mauvais augure dans la tradition de l’ethnie Bariba. Si une femme accouche prématurément à huit mois, cela n’est pas accepté. De la même manière, l’enfant ne doit pas non plus faire ses premières dents à huit mois.

Que se passe-t-il pour les femmes qui mettent ces enfants au monde ?

Tant qu’elles sont d’accord d’éliminer leur enfant, il n’y a pas de problème pour elles. Cependant, si elles décident de le garder malgré tout, elles seront elles aussi en danger. J’ai vécu cela directement lorsque j’étais dans le nord. La nièce de l’évêque chez qui je vivais a accouché d’un enfant dans une « mauvaise » position. Avec les sensibilisations que nous avions effectuées dans la région, elle voulait protéger son enfant, et son mari n’étant pas de la même culture, il n’avait aucune raison de vouloir sacrifier son bébé. Cependant, la famille de la mère accordait beaucoup d’importance aux croyances traditionnelles. Avec son mari, elle a dû fuir le village afin de protéger leur enfant. Si elle était restée, sa vie aussi aurait été menacée.

Quelles ont été les principales étapes dans votre lutte contre l’infanticide rituel ?

En 2007, nous avons été invités par Franciscans International afin de suivre une formation sur l’utilisation des mécanismes de protection des droits humains à l’ONU. J’étais avec une sœur franciscaine que je ne connaissais pas à l’époque, Sr. Madeleine Koty, qui avait déjà sauvé cinq enfants du meurtre rituel. Moi, j’en avais sauvé trois. Nous avons donc décidé qu’il était important de porter cette problématique auprès de la communauté internationale, et avons soumis un rapport à l’ONU quelques mois plus tard. Deux pays ont tout de suite réagi et ont formulé des recommandations afin de bannir cette pratique. En rentrant, nous avons continué notre travail de sensibilisation dans les communautés locales où sévit le phénomène, et en 2012, avec l’appui de FI, notre ONG Franciscains-Bénins a été créée. En combinant des actions de plaidoyer international avec de la sensibilisation au niveau local, je peux dire que, après des années de travail, les choses ont beaucoup changé, et qu’on ne tue plus ces enfants de manière aussi systématique. Cependant, la peur subsiste, et les enfants « mal nés » continuent d’être abandonnés. Parfois, nous réussissons à sensibiliser une famille de manière à ce qu’ils gardent leur enfant, mais cela reste exceptionnel.

Pouvez-vous nous donner un exemple d’action de sensibilisation que vous avez pu mener ?

Dans le nord du Bénin, nous avons organisé une formation d’une semaine avec cinq sages-femmes. Parmi elles, certaines ont conservé cette tradition de communiquer à la famille la position exacte de l’enfant à l’accouchement. Nous avons donc travaillé avec elles afin de les encourager à garder le secret entre la sage-femme et la mère. Ce projet a démarré l’année passée, et doit durer jusqu’en 2025. Nous allons également continuer nos actions de sensibilisation dans les écoles, auprès des enseignants, ainsi que dans diverses tranches de la population. Je pense que ces campagnes à différents niveaux sont essentielles pour réussir à changer les mentalités.

Quelles sont les prochaines étapes de votre travail pour la protection des enfants dits « sorciers » ?

Nous sommes actuellement en train de construire un centre temporaire afin de recueillir les enfants rejetés par leur famille et les garder en sécurité. L’idée est qu’ils puissent rester là le temps que l’on leur trouve une famille d’accueil, ce qui peut parfois prendre des mois. Nous essayons de choisir des familles sensibles à cette problématique et proches des enfants du point de vue culturel et religieux. Enfin, nous fournissons une participation mensuelle à leurs frais généraux. Ce projet est actuellement en cours et est prévu pour les trois prochaines années.

Plus d’information sur le travail de Franciscains-Bénin et Franciscans International sur la question de l’infanticide rituel.

Consultez notre article principal sur les Franciscains au cœur de la protection des droits humains.